Peut-on inviter une personne en conversion au seder de Pessa'h ?

 

En naviguant sur Internet, on trouve des réponses très différentes à ce sujet :

Sur le site du Rav Ron Chaya, ce dernier répond d’une manière très succincte qu’il est interdit d’inviter quelqu’un en conversion au seder de Pessa’h :

https://myleava.fr/une-non-juive-en-conversion-peut-elle-etre-invite-a-la-table-du-seder-de-pessah/

A l’inverse, sur le site cheela.org, le Rav S.D Botschko rapporte au nom du Rav Yehouda HENKIN que cela est tout-à-fait permis à condition que l’on ne cuise pas spécifiquement pour lui :

https://www.cheela.org/node/23388

Enfin, sur le site de Torah-box, le Rav Gabriel Dayan le permet en cas de nécessité, et avec une procédure particulière à respecter :

https://www.torah-box.com/question/inviter-une-personne-non-encore-convertie-au-seder-de-pessa-h_10104.html

 

Dès lors, comment agir en pratique ?

 

Réponse :

 

Il est important d’habituer une personne en conversion à bien faire le seder de Pessa’h selon la Halakha, car la théorie ne suffit pas dans l’apprentissage de la Torah. Or, si personne ne l’invite, on prend le risque que la personne  ne sache pas bien comment procéder au seder de Pessa’h une fois convertie. Il est donc recommandé de l’inviter, tout en respectant certaines précautions qui seront détaillées par la suite.

 

Explication détaillée :

 

1/ L’interdiction d’inviter un non-juif à Yom-Tov

 

Contrairement au Shabbat, où il n’y a aucun interdit d’inviter un non-juif, les ‘Hakhamim l’ont interdit à Yom-Tov par crainte qu’on en vienne à cuire pour lui[1].

Expliquons cet interdit :

La Torah autorise de cuisiner à Yom-Tov (à partir d’une flamme existante), contrairement au Shabbat : « Ce qui peut être mangé par toute personne, cela seulement sera fait pour vous »[2].

De cette précision – « pour vous » - les Sages du Talmud déduisent que l’autorisation de cuisiner à partir d’une flamme existante ne concerne que les Juifs. Ainsi, il est interdit de cuisiner pendant Yom-Tov pour les non-Juifs. Il convient de préciser que le Yom-Tov intervient dans le cadre des fêtes de pèlerinage,qui s’appellent « Mo’adim /rencontres ». Il s’agit d’un moment privilégié de rencontre entre Hachem et le peuple juif. Pour que la joie soit au rendez-vous, il a été permis de cuisiner ce jour-là. Logiquement, cette autorisation n’a été accordée que pour les Juifs, car ils sont les acteurs de ces « rencontres » privilégiées.

Le fait de cuire pour une autre raison n’est donc pas permis par la Torah. Afin qu’il n’y ait pas de confusion à ce sujet, les ‘Hakhamim ont également interdit d’inviter un non-Juif à la table du Yom-Tov, par crainte qu’on en vienne à cuisiner pour lui à partir d’une flamme existante.

Le Shoul’han ‘Aroukh[3]reprend cette conclusion du Talmud interdisant d’inviter le non-Juif à Yom-Tov.

 

2/ La participation d’un non-Juif au seder de Pessa’h

 

Les décisionnaires du siècle dernier se sont demandés s’il y avait une raison supplémentaire d’interdire à un non-Juif de participer au seder de Pessa’h.

Rav Moshé Feinstein permet qu'un non-juif marié à une personne juive de la famille soit présent à la table du seder de Pessa'h. La problématique développée est celle de l'interdit d'enseigner la Torah aux non-juifs. Le Rav conclue en permettant car on ne lui enseigne pas directement,mais au sein de l'assemblée des gens présents[4].

Certains décisionnaires se sont également demandés s’il était permis au non-Juif de  manger l’Afikoman, ce morceau de matsa représentant le korban Pessa’h, qui ne pouvait pas être mangé par un « étranger »[5]. Bien qu’il y ait débat à ce propos, le Yalkout Yossef conclut qu'il s'agit d'une 'houmra (attitude rigoureuse) qu'il est bon d'adopter. Cependant, selon la stricte halakha, il n'y a pas d'interdit[6].

 

3/ Y a-t-il une différence à établir entre un non-Juif et une personne en conversion en ce qui concerne l’interdit d’inviter à Yom-Tov ?

 

Le Talmud n’établit pas de différence à ce sujet. Cependant, dans le cadre du sujet de l’interdiction pour les non-Juifs d’étudier la Torah, le Talmud n’effectue pas non-plus de distinction entre une personne en cours de conversion et une personne non-Juive n’ayant pas l’intention de se convertir. Or, on remarque malgré tout qu’une partie des A’haronim considèrent que la loi est différente lorsque le non-Juif veut se convertir. L’idée mise en avant est que la personne en conversion doit nécessairement étudier pour devenir juive[7].

Logiquement, cette idée est également valable en ce qui concerne l’invitation d’une personne en conversion pour Yom-Tov, car il convient de la rapprocher afin de l’habituer aux mitsvote.

En pratique, on retrouve cette idée chez le Rav Nissim Karlits[8]. En effet, alors que le Michna-Beroura écrit qu’il n’est pas suffisant de tout préparer avant Yom-Tov pour l’invité non-Juif, car il reste le risque d’en venir à cuire davantage pour lui[9], le Rav Karlits l’autorise dans le cas d’une personne en cours de conversion.

Cependant, il exige pour cela que l’hôte lui fasse acquérir son repas avant Yom-Tov[10].

 

4/ Ya-t-il une différence à établir entre un non-Juif et une personne en conversion en ce qui concerne la participation au seder de Pessa’h ? 

 

Nous avons vu que Rav Moshé Feinstein permet qu’un non-Juif participe au seder de Pessa’h bien qu’il s’agisse d’un moment dans lequel on étudie la Torah. Il le permet en se fondant sur le fait qu’il  y ait plusieurs Juifs sur place et que, par conséquent, l’enseignement n’est pas dirigé précisément vers lui.

Cette précision est nécessaire en ce qui concerne le non-Juif qui n’est pas dans une optique de se convertir. En revanche, en ce qui concerne celui qui est en conversion, le problème de lui enseigner la Torah ne se pose pas selon l’opinion des décisionnaires établissant une distinction entre le non-Juif et la personne en conversion, à qui il est permis d’enseigner la Torah[11]. Ainsi, en ce qui concerne sa présence lors de l’étude de la Haggada de Pessa’h,cela sera permis à priori d’après cette opinion.

De plus, en ce qui concerne la consommation de l'afikoman, la raison apportée par ceux qui interdisent de le transmettre au non-juif est que cela consisterait un "mépris de la mitsva"[12].

On peut en effet comprendre que la matsa et les éléments du seder ne sont pas que de simples aliments à manger ('hasvé Shalom), mais des instruments apportant un sens profond à la mitsva. Aussi les donner à consommer à une personne sans rapport avec la mitsva représente une véritable incohérence qui peut être perçue légitimement comme un mépris de la mitsva.

Or, cette raison ne concerne pas une personne qui a un rapport avec les mitsvote et qui peut donc ressentir ce rapport lors de la consommation. C'est pourquoi le Rambam écrit que le "guer tochav" peut manger la matsa et le maror, bien qu'il ne soit pas un "guer tsédék", donc pas converti[13]. C'est que le guer tochav a un rapport aux mitsvote. On peut alors avancer que la même idée s’applique pour la personne en cours de conversion, qui est entrain de construire son rapport à la Torah, et pour qui cette consommation dépasse clairement un simple repas.

 

5/ Y a-t-il une mitsva d’aider une personne en conversion dans sa démarche ?

 

Dans le livre de Ruth, il n’est pas fait explicitement mention d’une procédure de conversion. Cependant, le Midrash y voit une allusion après son arrivée en Erets-Israël avec sa belle-mère, Na’omi. En effet, alors que cette dernière lui demande de retourner voir Bo’az dans l’intention de l’épouser, le texte stipule :

« Na’omi, sa belle-mère, lui dit : ‘Ma fille, je dois te procurer la sécurité, afin que ce soit bien pour toi. Maintenant, Bo’az, notre parent, avec les servantes de qui tu étais, vannera l’orge cette nuit sur l’air de battage. Aussi baigne-toi,enduis-toi [d’huile parfumée], revêts tes plus beaux vêtements et descends vers l’air de battage, mais ne te fais pas connaître à l’homme jusqu’à ce qu’il ait fini de manger et boire’ » (Ruth 3, 1-3).

La « baignade » à laquelle Na’omi fait référence n’est autre que la tévila, l’immersion rituelle (mikvé) permettant de se débarrasser de l’idolâtrie passée[14].En d’autres mots, sa belle-mère lui indique que le temps de procéder formellement à la conversion est enfin venu.

On constate donc que jusqu’à présent, Ruth n’était pas encore convertie. Or, toute personne ayant lu son récit dans le Tanakh peut constater à quel point Na’omi s’est déjà investie pour elle. En outre, il n’est pas anodin que les ‘Hakhamim apprennent précisément de Na’omi la manière de se comporter vis-à-vis des personnes voulant se convertir[15].Si on y apprend qu’il est nécessaire de les repousser dans un premier temps (ou plutôt de les « responsabiliser »), on constate également qu’une fois le processus de conversion commencé, il faut alors s’investir pour aider celui ou celle qui désire ardemment rentrer sous les ailes de la présence divine.

 

Cette idée a une implication halakhique pratique, car cela signifie que la mitsva d’aimer le guer (converti) commence avant même qu’il soit converti. Dans le même sens, on trouve écrit dans le Michnat haGuer du Rav Moshé Klein :

« Certains écrivent que la mistva d’aimer le converti commence dès qu’il apparaît clairement qu’il a la volonté et le désir de s’abriter sous les ailes de la présence divine, et non uniquement une fois qu’il a terminé son processus de conversion. Par conséquent, il convient de l’aider dans tout ce qui est nécessaire lorsqu’il est en conversion »[16].

 

6/ Problématique halakhique et conclusion pratique

 

Une fois tous ces textes présentés, on constate que la problématique halakhique principale concerne l’intention des Sages du Talmud lorsqu’ils ont interdit d’inviter un non-Juif à Yom-Tov par peur que l’on cuise pour lui : Les personnes en conversion sont-elles inclues sans distinction dans cet interdit, ou bien en sont-elles exclues ?

En suivant la démarche des décisionnaires qui établissent une distinction entre un non-juif et une personne en conversion dans les sujets de l’étude/enseignement de la Torah et la mitsva d’aimer le guer, il semble pertinent de considérer qu’il en va de même en ce qui concerne cette question.

En effet, il est logique que la personne en conversion puisse participer aux repas de Yom-Tov pour apprendre comment se comporter. De plus, en ce qui concerne le séder de Pessa’h, les règles sont multiples, et il y a notamment plusieurs enjeux doraïta,que seule une pratique concrète peut permettre de saisir.

Cependant, il ne faut pas oublier que la Torah ne permet de cuire à partir d’une flamme existante que pour un Juif. Or, la personne en conversion ne fait pas exception, car elle n’est pas encore juive,et n’est donc pas encore incluse dans le «pour vous » du verset permettant de préparer à manger spécifiquement le jour de Yom-Tov[17]

Dès lors, il sera interdit de cuisiner spécifiquement pour elle le jour de Yom-Tov. Par exemple, alors qu’il est permis de sortir une casserole d’eau froide pour la poser sur la plata durant Yom-Tov (ce qui est totalement interdit à Shabbat), on ne le fera pas spécifiquement pour un homme en conversion s’il est le seul à vouloir un café et qu’il n’y a pas d’eau chaude.

En outre, par mesure de précaution, mieux vaut lui faire acquérir les plats qu’il consommera avant Yom-Tov comme le préconise le Rav Karlits[18].

 

Malgré ces quelques précautions, il faudra faire le maximum pour inviter des personnes en conversion et faire en sorte que ces dernières se sentent à l’aise chez nous, afin de les rapprocher vers la Torah. Un bon accueil constituera alors une très grande mitsva, car il peut être le déclencheur de sentiments d’amour vis-à-vis de la Torah et d’une volonté de respecter pleinement et scrupuleusement la Halakha.

Péssa'h cachère véSaméa'h !

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Notes :

 

[1]Betsa 21b.

[2]Shémote 12, 16.

[3]Ora’h ‘Haïm 512, 1.

[4]Iguerote Moshé Yoré Déa 2, 132, rapporté également dans Yalkoute Yossef Pessa'h 3ème tome, 473, 20, p.382.

[5]Shémote 12, 43.

[6]Cf. les différentes positions rapportées dans Yalkoute Yossef, ibid. 475, 54,p.545.

[7]Cf. Maharacha, commentaire sur Shabbat 31a ; Michnate HaGuer, ch.15.

[8]Lékete Hilkhote Yom-Tov 3, note 4, citée dans Michna Broura Dirchou, Hilkhote Yom-Tov 512, note 8. Cf. toutefois sur place d'autres avis considérant qu'il n'y a pas de distinction à établir entre un non-Juif et une personne en conversion.

[9]Ora’h ‘Haïm 512, 3.

[10]Pour cela il faudra que l’hôte lève un objet lui appartenant et déclare ainsi que tout le repas que mangera son invité lui appartient. Il n’est pas nécessaire que l’invité soit présent à ce moment, ni de le rendre au courant de ce procédé, en raison du principe de la Michna selon lequel on peut accorder un mérite à quelqu’un même lorsqu’il n’est pas là (Erouvin 7, 11 ; Guittin 1,6).

[11]Cf. supra.

[12]Rakanti, cité dans le Taz Ora'h 'Haïm 167, 18.

[13]Hilkhote Korban Pessa'h 9, 8.

[14]Cf. le Midrash Rabba et le Torah-Témima sur Ibid.

[15]Yebamote 47b.

[16]Hilkhote Guérim 14, 2. Dans la note 7, le Rav écrit que cela suit l’opinion du R’I Albarceloni, bien qu’il semblerait que tel n’est pas l’avis du Rambam.

[17]Shémote 12, 16 ; Betsa 21b ; cf. supra.

[18]Op. cit. Cf. également les opinions citées dans la réponse du Rav Dayan, op.cit.

A propos du Rav

De formation universitaire (titulaire d’un doctorat en Droit), Rav Yona GHERTMAN s’est tourné vers des études de Kodech, à la Yechiva, puis au Collel de Nice (CEJ), où il étudie encore aujourd’hui. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le judaïsme, dans lesquels il puise parmi les sources traditionnelles, qu’il présente d’une manière structurée et pédagogique au public francophone. 

Aujourd’hui marié et père de quatre enfants, il partage son temps entre l’étude, l’enseignement de la Torah, et le rabbinat, où il s’occupe notamment des conversions au judaïsme. 

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