Faut-il dénoncer une personne en conversion ayant un comportement incompatible avec la Torah ?

 

Tout d’abord, il convient de mentionner qu’un témoignage n’est valable qu’à plusieurs conditions, la plus élémentaire d’entre elles étant que deux personnes aient vu l’acte reprochable. l’inverse, si une seule personne rapporte des propos préjudiciables, elle serend coupable de colportage [cf. Dévarim 19, 15 ; Pessa’him 113b etRachbam; Rama, ‘Hochen Michpat 28, 1].

De plus, il est une Mitsva d'aimer la personne convertie [Hilkhot Déot 6,4] et de ne pas la blesser par des paroles, ce qui est plus grave encore qu'envers une personne juive de naissance [cf. Hilkhot Mékhira 14, 15-17]. Etant donné que selon certains décisionnaires, ces mitsvot ont cours même durant le processus de conversion [cf. Michnat Haguer, Hilkhot Guérim 14, 2], il faut être extrêmement vigilant à ne pas relayer des rumeurs, souvent blessantes à long terme.  

D’après cela, on pourrait donc croire qu’il vaut mieux garder le silence si on s’aperçoit d’un mauvais comportement chez une personne en conversion. Cependant, ce n’est pas si simple :

En effet, en ce qui concerne les interdits liés au langage, il existe des exceptions, notamment si l’objectif de rapporter l’information est d’éviter un dommage, qu’il soit matériel ou spirituel. Malgré tout, il convient que celui qui rapporte l’information n'en tire aucun profit personnel, et qu’il ne soit pas en conflit avec la personne visée [cf. ‘Hafets ‘Haïm, lachone hara 6, 2].

Or, l’effet d’une mauvaise conversion sur le peuple d’Israël est catastrophique, comme le montrent les dégâts causés par le ‘erev rav, ce groupe de convertis sorti d’Egypte en même temps que les hébreux, et ayant poussé ces derniers à de nombreux interdits, dont la fabrication du veau d’or [cf. Hilkhote issouré bia 13, 18].

Dès lors, si l’on a connaissance d’une possibilité d’empêcher une mauvaise conversion, comment peut-on rester impassible alors que c’est tout le destin du kahal Israël qui est en jeu ? En effet, si la Torah interdit explicitement de rester impassible devant une personne en danger physique [Vaykra 19, 16], n’est-ce pas encore plus valable si c’est le peuple juif dans son ensemble qui encourt un danger spirituel ?!

Faut-il pour autant en déduire que l’on doit s’empresser de rapporter tout mauvais comportement observé chez une personne en conversion ? La réponse est certainement négative. On apprend en effet des propos de Tossfot qu’il est aussi grave d’empêcher une bonne conversion que d’en accepter une mauvaise [Yebamote 109b,s. v. « ra’a a’har ra’a »]. Ainsi, il est tout aussi grave d'entraîner le renvoi d’une personne en conversion par excès de zèle, alors qu’elle était en réalité sérieuse; que de retenir une information sur le manque de sérieux d’un candidat.

 

En pratique :

Si on voit un mauvais comportement chez une personne en conversion, et qu’il s’agit de quelqu’un que l’on connaît comme étant sérieux et de bonne volonté, il convient de lui faire remarquer avec tact et politesse, en lui suggérant d’en discuter par la suite avec son Rav.

Cependant, si des éléments objectifs montrent qu’il s’agit d’un comportement volontaire et conscient, il convient alors d’en parler aux Rabbanim de cette personne. Dans ce cas, il est interdit de le faire avec la volonté de « dénoncer »,et encore moins de régler des comptes. Au contraire, il faut rapporter les éléments que l’on a dans l’objectif d’aider cette personne à faire une bonne conversion, donc dans un but constructif.

Les Rabbanim étant consultés ne prendront pas ce propos comme un « témoignage », mais comme un élément à vérifier en faisant une enquête sérieuse, afin de voir s’il y a de réelles preuves (dont des témoignages recevables devant un Beth-Din) confirmant ou non ce qui a été rapporté.

A propos du Rav

De formation universitaire (titulaire d’un doctorat en Droit), Rav Yona GHERTMAN s’est tourné vers des études de Kodech, à la Yechiva, puis au Collel de Nice (CEJ), où il étudie encore aujourd’hui. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le judaïsme, dans lesquels il puise parmi les sources traditionnelles, qu’il présente d’une manière structurée et pédagogique au public francophone. 

Aujourd’hui marié et père de quatre enfants, il partage son temps entre l’étude, l’enseignement de la Torah, et le rabbinat, où il s’occupe notamment des conversions au judaïsme. 

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