Y a-t-il un intérêt de se convertir au judaïsme pour les Bné-Noa’h ?

Écrit par
Yona Ghertman
Publié le
5/12/2022

Lorsqu’un rabbin reçoit une personne faisant part de sa volonté de se convertir, il lui tient généralement le discours suivant : « Pourquoi voulez-vous devenir juif, alors que vous avez la possibilité de servir D.ieu et d’atteindre le monde futur en restant ben-Noa’h ? »

Pour rappel, les Bné-Noa’h sont les non-juifs qui acceptent de respecter une législation universelle, commune à toute l’humanité ; dont les grandes lignes se résument en sept lois (Hilkhote Mélakhim 9, 1) :

  • Ne pas faire d’idolâtrie
  • Ne pas blasphémer le Nom de D.ieu
  • Ne pas tuer
  • Ne pas commettre de débauche (relations interdites)
  • Ne pas voler
  • Installer des tribunaux
  • Ne pas manger la chair d’un animal vivant

Effectivement, les non-juifs qui respectent ces commandements sont assurés de se rapprocher de D.ieu et d’en être récompensés, ainsi que l’écrit le Rambam : « Celui qui accepte les sept lois et veille à les respecter fait partie des pieux parmi les nations du monde, et il a une part au monde futur. Ceci à condition de les accepter et de les accomplir en tant qu’ordres énoncés par le Saint, béni soit-Il dans la Torah ; car Il nous a  informés par l’intermédiaire de Moshé Rabbénou que les Bné-Noa’h y étaient astreints de tout temps (…) » (Hilkhote Mélakhim 8, 9).

Dès lors, le discours rabbinique s’entend bien : Pourquoi se fatiguer à vouloir respecter 613 commandements contraignants, alors qu’il est possible d’être une bonne personne proche de D.ieu en respectant seulement sept lois ? Cette idée prend d’ailleurs sa source dans un passage du Talmud, où l’on voit que le Beth-Din (tribunal rabbinique) qui reçoit la personne désirant se convertir l’informe des enjeux du choix qu’elle s’apprête à faire. Pour cela, il met l’accent sur les contraintes et les sanctions pesant sur le juif, mais en aucun cas sur les bné-Noa’h : « Sache que jusqu’à présent, si tu mangeais du suif, tu n’étais pas passible de retranchement  et si tu transgressais Shabbat, tu n’étais pas passible de lapidation. Mais maintenant, si tu manges du suif, tu es passible de retranchement et si tu transgresses Shabbat tu es passible de lapidation » (Yébamote 47a).

En d’autres termes, certaines lois liées à la cacheroute (ne pas manger du suif) et au respect du Shabbat ont des sanctions très lourdes en cas de non-observance. Bien que certains châtiments mentionnés ne s’appliquent plus de nos jours (lapidation), l’idée reste d’une actualité brûlante : Les bné-Noa’h peuvent agir ainsi en étant dans la parfaite légalité… Pourquoi donc rentrer dans de telles complications en voulant se convertir ?!

D’un autre côté, s’il suffisait de rester ben-Noa’h pour accomplir sa mission sur terre, pourquoi la Torah permet-elle la conversion ? Quelle en est son utilité ; et surtout, qui concerne-t-elle ?
La question n’est pas seulement générale, car elle se double d’une contradiction apparente dans les textes eux-mêmes. En effet, dans un autre passage talmudique, les Sages remarquent que les personnes converties sont plus sujettes aux épreuves que la moyenne. Ils s’interrogent alors sur la raison de ce constat. Or, l’une des réponses surprend :

Pourquoi les convertis à notre époque souffrent-ils et subissent-ils des épreuves ? (…)
Car ils ont [trop] attendu [lorsqu’ils n’étaient pas juifs] avant de rentrer sous les ailes de la présence divine [en se convertissant]. (Yebamote 48b)

Stupéfiant ! Alors que les rabbins ne cessent de dire – légitimement – aux candidats à la conversion qu’ils feraient mieux de réfléchir à rester bné-Noa’h, la Guemara reproche au contraire  d’attendre trop longtemps avant de franchir la grande porte de la Torah.
Le Ya’avets soulève ce problème et y répond dans son commentaire sur ce passage :

« Ceci est étonnant ! Où trouvons-nous que les bné-Noa’h aient l’obligation de prendre sur eux les mitsvote ? Il me semble qu’il faille le comprendre ainsi : ‘[Pourquoi les convertis à notre époque souffrent-ils et subissent-ils des épreuves ?] Car ils ont attendu à partir du moment où ils ont pris sur eux la décision fixe de rentrer sous les ailes de la présence divine ‘ ».

Expliquons.  Deux sortes de personnes sont concernées ici :

  1. Celles qui ne sont pas en mesure de respecter correctement les 613 mitsvote de la Torah une fois converties (pour diverses raisons, qu’il s’agisse d’un éloignement géographique ou d’un emploi du temps professionnel ne permettant pas d’avoir une vraie vie juive… entre autres).
  2. Celles qui ont pris la ferme décision de se convertir, et qui ont les moyens matériels de concrétiser cette décision.

Le conseil de rester ben Noa’h plutôt que de se convertir concerne exclusivement la première catégorie mentionnée : Mieux vaut être un Ben-Noa’h respectant les lois lui incombant, que devenir un juif qui ne se soumettra pas aux nombreuses obligations de la Halakha (loi juive). Cependant, le choix de la conversion est recommandé pour ceux qui évoluent dans un contexte propice, et qui sont certains d’avoir la détermination suffisante pour respecter sérieusement les lois de la Torah.

C’est à eux que le Talmud s’adresse, sans aucun prosélytisme : Le chemin de la conversion est long et difficile, alors que la vie paraît toujours trop courte. Par conséquent, il convient de ne pas tarder après avoir pris la décision ferme et définitive de venir s’abriter sous les ailes de la présence divine.

Yona Ghertman
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