Conversion, Exil et Messianisme

Écrit par
Yona Ghertman
Publié le
17/8/2023

Rabbi El’azar a dit : « Dieu n’a exilé Israël parmi les nations qu’afin que des convertis s’attachent à eux ». Ainsi qu’il est dit : « Et Je me complairai à l'implanter dans la terre » (Osée 2, 25). N’est-ce pas qu’un homme plante dans la terre une mesure [de récolte] afin d’en sortir une quantité bien plus importante ?

Et Rabbi Yo’hanan a dit : « [Nous l’apprenons] d’ici : ‘[Et Je me complairai à l'implanter dans la terre], Je rendrai mon affection à Lo Rou’hama [, et à Lo ‘Ammi Je dirai: "Tu es mon peuple"]’ » (Ibid.).

(Pessa’him 87b)


I/ La clef pour ouvrir la porte par laquelle le Machia’h entrera

Dans le livre biblique du même nom, Dieu ordonne au prophète Osée d’aller « prendre une femme prostituée, afin qu’elle lui donne des enfants de prostituée » (1, 2)1. Le verset suivant précise que le premier fils né de cette union (Jezreël) est bien celui du prophète.

En revanche, les deux autres, une fille et un garçon appelés « lo rou’hama » (pas de pitié) et « lo ‘ami » (pas mon peuple), sont présentés par la suite comme ayant été mis au monde par elle (1, 6 et 8). Le texte laisse donc planer un doute sur leur filiation paternelle.

Ces dénominations surprenantes symbolisent le rapport de tension entre Dieu et son peuple, se détournant de ses commandements. Il annonce qu’il cessera d’éprouver de la compassion envers Israël, dont la violation de l’alliance brise leur lien… ou du moins le remet-il en question.

A la fin du second chapitre, Dieu précise en effet que cet éloignement n’est que passager :

« A cette époque, Je ferai un pacte en leur faveur avec les animaux des champs, avec les oiseaux du ciel et les reptiles de la terre; arcs, épées, tout attirail guerrier, Je les briserai dans le pays, et Je ferai en sorte que chacun y dormira en paix. Alors, Je te fiancerai à moi pour l'éternité; tu seras Ma fiancée par la droiture et la justice, par la tendresse et la bienveillance; Ma fiancée en toute loyauté, et alors tu connaîtras l'Eternel. A cette époque, dit l'Eternel, Je donnerai, oui, Je donnerai satisfaction aux cieux, et ceux-ci combleront les vœux de la terre. La terre donnera satisfaction au blé, au vin et à l'huile, et ceux-ci combleront les vœux de Jezreël.  Et Je me complairai à l'implanter dans la terre, Je rendrai mon affection à Lo Rou’hama, et à Lo ‘Ammi Je dirai: "Tu es mon peuple", et lui, il Me dira: "Mon Dieu!" ».

(Osée 2, 20-25).

La période décrite ici n’est autre que la période messianique. A cette époque, les infidélités du peuple juif seront pardonnées. Dieu retrouvera pleinement son peuple, à l’instar d’un fiancé se réjouissant de retrouver sa bien-aimée.


Rachi, dans son commentaire sur ce passage biblique2, explicite l’idée développée par Rabbi El’azar dans le Talmud :

[Et ceux-ci combleront les vœux de Jezreël] : Les exilés ayant été disséminés [parmi les nations] et qui auront été rassemblés.

[Et je me complairai à l'implanter dans la terre] : A l’instar de celui qui sème un séa3 [de grains] pour obtenir plusieurs kor4, de même les prosélytes se joindront-ils [à elle] dans le pays d’Israël.


Rabbi Yo’hanan est d’accord sur le fond du message, mais propose une interprétation différente. Rachi l’explicite dans son commentaire sur le Talmud5 :

[Et Rabbi Yo’hanan a dit : « nous l’apprenons d’ici : ‘Et Je me complairai à l'implanter dans la terre, Je rendrai mon affection à Lo Rou’hama, et à Lo ‘Ammi Je dirai: "Tu es mon peuple" »] : Ceux qui n’étaient pas de Mon peuple s’attacheront à eux, et ils deviendront [alors] Mon peuple.


Ainsi, en étudiant le texte talmudique à la lumière du livre d’Osée, d’où sont tirés ces enseignements, nous comprenons mieux sa portée.

Le retour des exilés et la conversion au judaïsme sont deux thématiques indubitablement liées.  Or, ce retour des exilés constitue la première étape de la période messianique6. Le message talmudique est donc percutant : La conversion au judaïsme n’est pas qu’un sujet parmi d’autres, il s’agit de la clef permettant d’ouvrir la porte au Messie.


II/ Clef de la délivrance messianique ou écueil pour le peuple juif ?

Certes, les textes bibliques et rabbiniques présentent avant tout l’exil comme une punition pour les transgressions commises par les bné-Israël. Il s’agit d’une constante dans la Torah. Cependant, il y aurait eu d’autres manières de punir les bné-Israël pour leurs fautes. Pourquoi précisément l’exil ? C’est là qu’intervient la profondeur de l’explication talmudique. Au-delà de la raison apparente, se trouve une motivation voilée : Permettre aux non-juifs susceptibles de se rattacher à la Torah d’être en contact avec elle7.

Il ne faut pas confondre cette idée avec le prosélytisme. Ce dernier concept traduit un geste d’aller vers l’autre afin de le persuader. Or, notre enseignement talmudique est formulé d’une manière différente : « Dieu n’a exilé Israël parmi les nations qu’afin que des convertis s’attachent à eux ».

Il n’est pas écrit que Dieu a exilé Israël afin qu’ils aillent vers les non-juifs pour les convertir. Il appartient aux potentiels convertis de s’attacher aux juifs, c’est-à-dire, de faire des efforts de manière à modifier leur mode de vie, afin d’intégrer la Torah et le peuple juif.

Mais comment cela serait possible s’il n’y avait pas de modèles à suivre ?8 C’est pour cela que Dieu exile des communautés juives qui s’implantent un peu partout dans le monde. Leur présence attire beaucoup d’animosité car leurs pratiques sont différentes. C’est là toute l’histoire de l’antisémitisme. Cependant, certains résidents vont au-delà des réticences provoquées par l’observation des différences. La présence des juifs et de leurs Rabbanim éveille leur curiosité.

Ces âmes en recherche de sens ne doivent pas rester ‘perdues’ parmi les nations. Le retour des exilés aux temps messianiques ne peut pas se faire sans elles.

Les commentateurs du Talmud notent toutefois une contradiction apparente avec un autre passage talmudique :

Les convertis sont comme une plaie (sapa’hat) pour Israël, comme il est écrit (Isaïe 14, 1) : « Les étrangers se joindront à eux, et ils s’attacheront (nispe’hou) à la maison de Jacob ».

(Yebamote 47b).

Il s’agit ici d’un jeu de mots entre « plaie / sapa’hat » et « ils s’attacheront / nispe’hou », provenant tous deux de la même racine : « sapa’h ». Le verset du livre d’Isaïe est interprété d’une manière négative. Nous sommes aux antipodes de la prophétie d’Osée qui allusionne un aspect positif à la conversion.

Le Rambam écrit :

« Les Sages ont enseigné : Les convertis sont comme une plaie pour Israël. Car la majorité d’entre eux reviennent [à leurs anciennes habitudes] à la moindre occasion et cela se retourne contre Israël. Il est alors très dur de se détacher d’eux une fois convertis. Viens et apprends ce qui est arrivé dans le désert lors des épisodes du veau d’or et de kivrote hataava ; de même le ‘erev rav’  fut à l’origine de la majorité des épreuves [à cette époque]9.

Ce passage suit celui concernant les conversions douteuses des femmes de Samson et Salomon10. Alors que le Rambam loue par ailleurs le mérite d’une bonne conversion, avec l’exemple de Ruth la moabite11,il met l’accent ici sur les mauvaises conversions. Ceux qui s’attachent à Israël, mus par un intérêt autre que la volonté sincère de se rapprocher de la Torah, sont considérés comme une plaie.

C’est qu’il y a un risque à assumer dans les conversions. Il convient que le peuple juif soit en exil afin de permettre aux convertis sincères de s’attacher à lui. Or, indubitablement,  cet objectif noble et salvateur s’accompagne d’un revers périlleux : L’attachement des ‘mauvais convertis’ au peuple juif.


III/ Quelle attitude adopter face au risque des « mauvaises conversions » ?

Certains commentateurs abordent cette problématique par une démarche mystique : Des étincelles de sainteté ont été éparpillées de par le monde chez des personnes non-juives. Le trône céleste ne pourra être affermi qu’une fois ces étincelles rassemblées12.

Qu’en sera-t-il alors des personnes converties dont la démarche n’était pas sincère ? Ces derniers constituent « le déchet » (péssoléte) des étincelles divines. Le fruit ne peut pas être pris sans l’écorce qui l’entoure. Mais, à l’instar de la tourbe nombreuse qui sortit d’Egypte avec les bné-Israël13, ils finiront par disparaître avec le temps14.

Il apparaît donc comme un impératif de mettre en place des processus de conversion, à la fois accessibles aux véritables étincelles divines et rigoureux, pour limiter les dégâts provoqués par les autres. Cependant, la crainte des mauvaises conversions ne doit pas empêcher de continuer le processus permettant d’attirer les âmes qui raffermiront le trône céleste et participeront à la délivrance finale15.


D’un point de vue plus rationnel, il convient en premier lieu d’interroger la raison des « mauvaises conversions ». Dans le Talmud, un premier passage explique que le Sanhédrin doit interdire les conversions si le contexte de l’époque – ou du lieu – démontre que les non-juifs se présentant ont toutes sortes de motivations, sauf celle de respecter les mitsvote de la Torah16. Un second passage pointe du doigt les responsables rabbiniques s’occupant des conversions17 : « De nombreux malheurs s’abattent sur ceux qui procèdent à des conversions ». Dans le même esprit, le Zohar18 n’hésite pas à critiquer Moïse pour son obstination à accepter la tourbe nombreuse, alors qu’il aurait dû prévoir les conséquences néfastes de son intégration.

Notons toutefois que cette critique est ciblée vis-à-vis des juges qui s’empressent de procéder à des conversions sans examen sérieux au préalable. En revanche, si le converti montre sa détermination à se plier aux lois de la Torah, et que les juges persistent à refuser sa conversion, c’est alors leur attitude trop zélée qui cause préjudice au peuple d’Israël19.


D’un côté, il apparaît donc nécessaire que les conversions se fassent. Mais d’un autre côté, on sent une réticence de la part des Sages du Talmud. Cet aspect paradoxal se retrouve également dans le texte décrivant la procédure de conversion :


De nos jours20, quand un étranger veut se convertir, on lui pose cette question : « Pour quelle raison veux-tu te convertir ? Ignores-tu que le peuple d’Israël est brisé, opprimé, méprisé, rejeté, que les épreuves s’abattent sur lui ? ». S’il répond : « Je le sais et je ne le mérite pas»21, on l’accepte et on lui enseigne quelques commandements faciles à accomplir et quelques autres plus difficiles :

On informe le prosélyte des fautes [qui consistent] à glaner, [à reprendre] une germe oubliée, [récolter] aux coins de son champ et [ne pas payer] la dîme du pauvre22. Puis on  l’informe des sanctions en cas de transgression des mitsvote, en lui disant : « Sache que jusqu’à présent, si tu mangeais de la graisse, tu n’étais pas passible de karete23 et si tu transgressais Shabbat, tu n’étais pas passible de lapidation24. Mais maintenant, si tu manges de la graisse, tu es passible de karete et si tu transgresses Shabbat tu es passible de lapidation ».

Puis de la même manière qu’on l’informe des sanctions, on l’informe des récompenses, en lui disant : «Sache que le monde futur n’est réservé qu’aux justes, et Israël dans ce monde ci n’obtient ni plus de bienfaits25, ni plus de punitions26 ».

On ne lui dira pas plus, et on ne se montrera pas pointilleux à son égard.

(TB Yebamote 47a)


Pourquoi ne pas expliciter davantage les lois de la Torah avant la conversion ? Rachi répond : Il ne faudrait pas faire peur et provoquer l’abandon du projet de conversion27. Pourtant, la Guemara elle-même s’interroge sur la nécessité de cet interrogatoire et de l’information des quelques commandements faciles et difficiles, puis conclut : « Car s’il doit abandonner [son idée de se convertir], qu’il l’abandonne ». Rachi précise alors : « Et peu nous en importe ».

Il y a donc une frontière extrêmement mince : D’un côté, il convient de ne pas trop en faire afin de ne pas décourager ceux qui désirent se convertir. D’un autre côté, il faut tout de même montrer un certain niveau d’exigence afin d’éviter des conversions qui ne seraient pas productives.

Effectivement, « peu nous importe » si des personnes abandonnent leur conversion alors qu’elles s’inquiètent déjà du peu de mitsvote que l’on porte à leur connaissance. En effet, ces dernières négligeraient certainement la pratique des commandements, et viendraient s’ajouter au « ‘erev rav », des personnes converties trop rapidement sans avoir l’intention d’accepter pleinement les lois de la Torah. Cependant, il faut laisser une porte ouverte28 à ceux qui ont objectivement la possibilité d’intégrer sincèrement et correctement le peuple juif.


IV/ Le baromètre du rapport entre Israël et les nations

Toutes les nations du monde sont les descendants du premier homme : Adam. Toutefois, il serait illusoire d’exiger que toute l’humanité adopte le culte divin et ses contraintes. Le peuple juif a été choisi pour effectuer cette tâche. Cette mission ne s’accomplit pas sans difficultés.

Cependant, il n’est pas suffisant qu’un « peuple de prêtres » serve Dieu, selon des règles spécifiques, pour attirer sa bénédiction sur le monde entier. Il resterait une notion d’inégalité, et donc d’injustice, si la transmission de cette responsabilité n’était qu’héréditaire. Or, l’injustice est incompatible avec le divin. Alors en tant que descendant d’Adam, et donc en tant que parcelle du divin, chaque être humain sur terre se voit laisser la possibilité de rejoindre le « peuple de prêtres »29.

La conversion au judaïsme permet donc aux non-juifs - en tant qu’individualités - de se rapprocher du peuple juif en intégrant la Torah. De cette manière, le « peuple » n’est pas strictement entendu au sens de « race ». En effet, on ne peut pas changer de race, mais on peut intégrer un peuple, même si son fondement originel est lié à une ethnie spécifique.

Le roi David est lui-même issu d’une aïeule convertie au judaïsme : Ruth. Cela n’est pas un hasard. Le Messie est le descendant de David. Il ne pouvait en être autrement. Il fallait que sa lignée comporte une personne convertie au judaïsme. Rapportons à cet effet les éloquents propos du Rav Elie Munk : « Le futur rédempteur de l’humanité doit porter dans ses veines une goutte de sang non-juif afin d’être en mesure de comprendre l’état d’âme de tous les êtres humains, de partager leur faiblesse et de pouvoir, par son ascendant et par son langage, trouver le chemin de leur cœur et les ramener à Dieu »30.


Les textes traitant de la période messianique montrent qu’il y a un lien fort entre l’avènement de cette époque et le rapport aux nations. Tout d’abord, ces dernières n’asserviront plus Israël31. Mais également, une fois la royauté du Messie établie, un véritable royaume d’Israël verra le jour32, constituant un phare pour les nations, et permettant à toute l’humanité de reconnaître le règne du divin33.

Nous proposons l’idée suivante : La période de l’exil est une préparation à la délivrance finale. Avant de permettre aux nations d’accéder à la connaissance de Dieu, la priorité est que le peuple juif ait intégré le caractère indispensable de la pratique des mitsvote et de l’étude de la Torah34. Ainsi durant la longue époque de dispersion parmi les peuples, il convient dans un premier temps que le peuple juif intègre pleinement la Torah, afin de montrer une image rayonnante vers l’extérieur. Si des non-juifs viennent alors se convertir par eux-mêmes, il faut s’interroger sur leur intention. S’ils désirent ressembler aux juifs qui pratiquent les commandements divins et les étudient, c’est que l’exil a produit son effet.

Cependant, si la pratique des juifs en exil manque d’authenticité, alors les non-juifs risquent de venir car attirés par des valeurs ne correspondant pas à l’esprit de la Torah. C’est que le peuple juif n’est alors pas encore prêt pour sortir de l’exil.


La capacité à produire des conversions de non-juifs désireux de se rapprocher sincèrement de la Torah constitue donc le baromètre du rapport entre Israël et les nations. Tel semble être l’intention de l’enseignement percutant proposé par Rabbi El’azar : « Dieu n’a exilé Israël parmi les nations qu’afin que des convertis s’attachent à eux ».

Le plan divin est toujours parfait. La sanction (l’exil) a pour objectif d’améliorer le cours de l’Histoire en permettant à Israël de revenir dans sa terre en ayant acquis une certaine maturité. C’est alors que la véritable « guéoula » (délivrance) peut s’opérer. D’ailleurs en hébreu, les deux termes sont intrinsèquement liés : « guéoula » (délivrance) est associée à « galoute » (l’exil). C’est que la délivrance finale se façonne en exil, dans la manière dont Israël se comporte vis-à-vis des individus parmi les nations désirant rentrer sous les ailes de la présidence divine.

Une fois que l’essai s’avèrera concluant, ce sera le signe que le peuple d’Israël est assez mûr pour assumer pleinement son rôle de « peuple des prêtres », afin que toute l’humanité puisse servir Hachem dans la paix et l’unité.

Références

1- On notera que certains exégètes présentent cette union comme une allégorie, destinée à faire passer un message fort. Elle n’aurait toutefois jamais eu lieu en réalité. Cf. Ibn Ezra sur Osée 1, 1 ; Maïmonide, Guide des Egarés 2, 46.

2- Commentaires sur Osée 2, 24-25.

3- Mesure employée à l’époque talmudique.

4- Ibid.

5- Commentaire sur Pessa’him 87b, s. v. « véamarti léloami ami atta ».

6- Précisons bien qu’il s’agit de personnes converties avant la période messianique, car les conversions ne seront plus permises après la venue du Messie selon le Talmud (Yebamote 24b).

7- Cf. Maharcha, commentaire sur Pessa’him 87b, s. v. « lo higla ».

8- Certes, le Talmud fait état d’une personne s’étant convertie uniquement « parmi les non-juifs » (Shabbat 68a). Néanmoins, ce cas de figure relève de l’exceptionnel et une telle conversion n’est considérée comme valable qu’à posteriori (cf. les commentateurs sur place).

9- Issouré Bia 13, 18. Dans le premier épisode, le « peuple » s’exclame une fois l’objet d’idolâtrie érigé : «Voici tes dieux, Israël !»  (Exode 32, 4). Pourquoi n’est-il pas écrit : « Voici nos dieux » ? Car, selon une tradition admise, ce sont ici les anciens Egyptiens ayant accompagné les hébreux qui s’expriment. Ils sont les incitateurs de ce revirement du peuple, car ils restent attachés à leurs anciennes pratiques. La « tourbe nombreuse » ( ‘erev rav’) représente, selon la littérature rabbinique, ces nombreux Egyptiens ou esclaves ayant décidé de partir d’Egypte lors de l’exode des Hébreux. Leur intérêt était de partir pour partir, alors que les Hébreux devaient partir pour servir Dieu.

Ces différentes motivations ont des conséquences graves. Dans l’épisode de kivrot hataava, c’est précisément « la tourbe nombreuse » qui réclame « de la viande à manger » dans le désert (Nombres 11, 4). La « viande » représente ici l’aspect matériel par excellence. Ces personnes ne recherchent pas la Torah, l’au-delà du matériel. La « nourriture spirituelle » ne les intéresse pas. Ce n’est pas pour ça qu’elles ont quitté l’Egypte, mais pour quitter leur vie d’antan, dans l’espoir d’une vie meilleure. Cette motivation n’est pas condamnable en tant que telle, mais elle ne peut pas s’accorder avec le destin du peuple d’Israël, se dirigeant vers le Mont Sinaï pour recevoir la Torah.

10- Cf. supra.

11- Issouré Bia 13, 14.

12- Beth HaLévy, paracha Vaychla’h, cité dans Daf ‘al daf sur Pessa’him 87b ; Panim Yafote, citant notamment le Zohar (Exode 2, 2) : Commentaires sur Genèse 13, 2, Exode 1, 7, Deutéronome 7, 1 (liste non exhaustive) ; Or Ha’Haïm sur Béréchit 49, 9 ;  ‘Hatam Sofer, commentaire sur Shabbate 77b ; etc.

13- Cf. supra.

14- Cf. commentaire du Panim Yafote sur Exode 1, 7.

15- Cf. le ‘Hatam Sofer, op. cit., expliquant qu’il n’est pas possible de monter en terre d’Israël pour s’y installer, tant que les étincelles divines n’ont pas été rassemblées grâce aux – bonnes - conversions au judaïsme.

16- Yebamote 24b.

17- TB Yebamot 109b.

18- Cité dans R. E. Munk, La Voix de la Torah, l’Exode, pp.125-126.

19- Tossfot, commentaire sur Yebamote 109b., s. v « ra’a ». En l’espèce, les Tossafistes rappellent le passage du Talmud (Sanhédrin 99b) stigmatisant les trois patriarches pour avoir refusé d’accepter Timna. Cette dernière se maria finalement avec Eliphaz, le fils d’Esaü (Genèse 36, 12). De leur union naquit Amalek, symbole de la persécution d’Israël. Notons qu’à l’inverse, Josué accepta la conversion de Ra’hav l’aubergiste, et Naomi celle de Ruth. Les descendants de ces femmes converties contribuèrent par la suite au bien-être d’Israël.

20- La procédure décrite ci-dessus est valable « de nos jours », précision montrant que cette procédure ne serait pas à valable une époque dans laquelle il y a une présomption que les motivations des conversions sont mauvaises (cf. Yebamote 24b).

21- « Je ne suis pas apte à m’associer à leur détresse, si seulement je pouvais avoir ce mérite ! » (Rachi).

22-  Il s’agit de trois commandements faisant partie des lois sociales de la Torah. Les commentateurs sont divisés sur la raison de la mention de ces trois mitsvote spécifiques. Voir les commentaires de Rachi sur Yebamote 47b, s. v. « oumodiin oto » et « lichna a’harina ».

23- La peine de « karete » est habituellement traduite par « retranchement ». Plusieurs explications sont données à cette peine, leur point commun étant qu’il s’agit d’une peine extrêmement sévère prononcée par le tribunal divin, car les conditions pour un jugement devant le tribunal humain ne sont pas retenues : présence d’au-moins deux témoins et avertissements préalables. Voir R. Pin’has Kéhati, Michnaïote mévouérote, tome 10 : « Péti’ha lémassekhete kritoute ».

24- Des conditions strictes étaient requises pour que la lapidation soit appliquée. Le Talmud enseigne par ailleurs que les peines de mort décidées par les tribunaux rabbiniques étaient extrêmement rares (TB Makote 7a).

25- Car Dieu se montre exigeant envers Israël (Meïri).

26- Car Dieu veille sur Israël (Ibid.).

27- Commentaire sur Ibid. s. v. «véein marbin ‘alav ».

28- Cf. le commentaire de Tossfot (sur TB Yebamot 46b, s. v. « michpat kétiv béh »), soulignant qu’une conversion doit théoriquement être établie par un tribunal rabbinique composé d’experts n’existant plus depuis l’époque talmudique. Tossfot s’interroge alors sur la raison pour laquelle nous continuons les conversions de nos jours ? La réponse apportée est qu’il convient de ne pas « fermer la porte devant les convertis » (cf. Yona Ghertman, Une identité juive en devenir, la conversion au judaïsme, op. cit., p.132 et suivantes : « Conversion et intérêt général »).

29- Certes, le statut de la personne convertie diffère de celui du juif de naissance. Cependant, cette distinction s’estompe avec les générations suivantes, jusqu’à ce que les descendants des personnes converties se confondent totalement au sein du peuple juif. Cf. Yona Ghertman, Une identité juive en devenir, la conversion au judaïsme, op. cit., p.193 et suivantes : « Les convertis et leur descendance ».

30- R. Elie Munk, La Voix de la Torah, commentaire sur Genèse 19, 32, p.197.

31-  Shmouel dans Sanhédrine 99a ; Rambam, Michné-Torah, Hilkhote Mélakhim 12, 2 ; Raavad sur Edouyote 8, 7 ; Hilkhote Techouva 9, 2.

32- Hilkhote Melakhim 11, 1.

33- Pérouch haMichnaïote, introduction au perek ‘helek, chapitre 5 ; Hilkhote Mélakhim 11, 4 ; Hilkhote Techouva 9, 2.

34- Dans Hilkhote Téchouva 9, 2, le Rambam mentionne d’abord l’enseignement envers Israël : « Il [le Messie] apprendra à tout le peuple et leur enseignera le chemin d’Hachem, puis [vé] toutes les nations viendront l’écouter ». De même dans Hilkhote Mélakhim 11, 4 il mentionne d’abord une coercition messianique envers les juifs en ce qui concerne l’observance des mitsvote : « Lorsque se lèvera le Messie de la maison de David, il méditera dans la Torah et se préoccupera des commandements comme David son père, selon les modalités de la Torah écrite et orale. Puis il contraindra tout Israël à en faire de même ». Ce n’est que plus tard qu’il mentionne l’objectif que « le monde entier soit arrangé afin que tous ensemble servent Hachem ».

Yona Ghertman
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